L'avenir de l'internat
L'avenir de l'internat
Après avoir été le lieu honni de la scolarisation pendant un siècle et demi, puis le lieu de l’innovation dans le courant des années 1960, l’internat est aujourd’hui une institution plus ou moins en déliquescence comme l’a remarqué l’inspection générale. Ne représentant plus que 3 % des élèves scolarisés dans le secondaire, l’internat reste l’apanage des lycées généraux, techniques et professionnels. Il accueille les élèves les plus éloignés, et marginalement des élèves en difficulté, ce qui en fait essentiellement un service social, un complément nécessaire de la démocratisation. Il n’est donc pas étonnant que l’internat considéré comme un service annexe d’hébergement soit si peu prisé des CPE qui n’y voient qu’un lieu d’astreintes de nuit et de week ends, de corvées administratives, un lieu à risques que l’on cherche à éviter, quand ce n’est pas, plus simplement, un lieu d’évitement, une petite « planque » pour fonctionnaires paresseux.
Cette image de désolation n’est pourtant pas celle de Caroline Proust qui dans un petit ouvrage pratique sur l’internat (éditions Fabert) ouvre une tout autre perspective. Non pas celle d’une fatalité historique devenue par la force des choses un ancrage de la démocratie sociale, mais au contraire, celle d’un choix scolaire fondé sur l’évolution de la demande sociale d’éducation. Le petit livre de Caroline Proust peut faire l’objet de deux lectures : l’une concernant les aspects psychologique et technique de l’internat : c’est à ce titre qu’il peut intéresser les CPE. L’autre concernant les aspects consuméristes de cette demande : une véritable réflexion sur le déplacement éducatif des aspirations parentales.
Disons le d’emblée, cet ouvrage sur la « Scolarité en internat » est surtout destiné aux parents qui veulent placer leurs enfants à l’internat. Il concerne essentiellement les internats privés. Et s’il y a un livre sur ce sujet c’est parce que la demande s’amplifie, prend une nouvelle dimension, et pour le dire nettement change d’échelle et de nature. On a définitivement rangé les représentations vieillies de la pension liée au lycée napoléonien, avec son régime draconien et ses conditions spartiates. L’actualité de l’internat est celle d’une réalité moderne, plus souple, plus accueillante, à l’écoute des élèves et des besoins des parents. Celle d’un lieu alternatif à l’éducation familiale avec ses exigences spécifiques de régularité, de suivi scolaire, d’encadrement socio-éducatif.
La demande en matière d’internat est en effet renouvelée de fond en comble. Elle se traduit par une offre diversifiée dans ses styles et ses structures. Là où, malgré les incitations institutionnelles (relance en 2000 et internat d’excellence), le secteur public reste inerte, l’enseignement privé sous contrat fait preuve d’initiative et apporte des réponses adaptées (Ch. 2). Même dans le chapitre 3 consacré au fonctionnement de l’internat, choses bien connues dans le public, mais rarement formalisées, on ressent ce courant de rénovation. La rigueur, bien sûr, pas d’improvisation. Chaque instant de la vie des internes fait l’objet d’une attention normative : l’organisation du travail, des loisirs, la continuité avec le monde social, l’encadrement, l’implication dans la vie collective, le rangement des chambres. Rien de trivial, dans cette approche prosaïque du quotidien : la vie à l’internat fait partie du projet global d’éducation. Cela nécessite de prendre en compte les aspects psychologiques du problème (ch. 4) : la volonté de l’adolescent, celle des parents, la séparation de la famille, l’âge de l’enfant etc. L’internat ne peut pas réussir à tout le monde et dans n’importe quelle condition. C’est un engagement dont on doit mesurer les enjeux pour en faire un choix qui soit aussi un vrai projet d’avenir.
En deuxième lecture, au-delà des exigences de l’internat, ce petit ouvrage pose la question de l’évolution de la demande scolaire. Ayant définitivement opté pour le régime de l’externat et de la DP, le secteur de l’enseignement public semble occulter cette question. Or, loin d’être infondée, la demande des parents émerge des évolutions de la société : une structure familiale qui a changé, des contextes socioculturels qui rendent les conditions éducatives de l’univers familial de plus en plus problématiques. Bref, il devient nécessaire de réfléchir à cette évolution. L’internat a-t-il un avenir ? La question suppose de revoir la configuration du collège et du lycée. Mais on peut imaginer qu’à terme la réhabilitation de l’internat modifiera singulièrement le paysage de notre appareil éducatif.
Christian Vitali
Caroline Proust, Scolarité en internat, Fabert, 50 €.